Lettre intime à mes pèlerins

Le groupe de Pierre

Daria Klanac, Lettre intime à mes pèlerins : sur les chemins rocailleux de Medjugorje, j'ai marché avec vous, Éditions Sakramento, Paris, 2015, (ISBN 978-2-915380-86-6), pages 25 à 27.
 

 

[p. 25] 

 

Le groupe de Pierre

 

Au retour à Montréal, comme les disciples d’Emmaüs, j’avais le cœur débordant de quelque chose d’insaisissable. Avais-je rencontré quelqu’un qui m’avait si profondément touchée? Qui était-ce?

Oui, j’avais senti, au village, la présence d’une personne qu’on ne voyait qu’avec le cœur. J’en étais bouleversée. Comment expliquer et comprendre ce flot de larmes qui montait du fond de mon être? Comme un torrent, il était en train de laver et de libérer mon âme des déchets accumulés depuis longtemps, longtemps… J’en ai ressenti un bienfait énorme.

Pierre a assemblé tout le matériel que nous avons rapporté de là-bas. Il a monté une vidéo qui a fait sensation. Nous l’avons présentée à nos proches. De bouche à oreille, cela s’est propagé de façon à ce que nous soyons invités à la présenter un peu partout dans différents cercles souhaitant fortement en savoir davantage.

Au bout de quelques mois, un groupe s’est formé avec le désir d’aller visiter cet endroit. Comme nous parlons la langue et connaissons le pays, ils sont venus nous voir pour nous demander de les accompagner. Comment refuser une telle proposition?

J’ai dit à Pierre: «Vas-y, toi. Les enfants sont jeunes, je préfère rester avec eux à la maison.»

Pierre a consenti à partir en juin 1985 avec 15 personnes, dont quelques amis proches. Un premier groupe qui va être à la fois frappé par le malheur et comblé de grâces.

En effet, dès leur arrivée à Medjugorje, un drame est survenu dans une famille d’une maman qui était du voyage. Le père, qui était resté à Montréal, m’a appelée pour me demander s’il pouvait venir téléphoner à sa femme depuis chez moi, car il craignait de [p. 26]ne pas se faire comprendre par les gens de la pension de Medjugorje. Ne me doutant de rien, je lui ai répondu que je l’attendais. – Daria, me dit-il en arrivant, un de nos garçons vient de mourir. Je l’ai trouvé sans vie dans mon garage. Pourrais-tu m’aider à communiquer en croate, pour que je puisse prévenir ma femme ? Tout en retenant mon souffle, sans hésitation, j’ai appelé la pension où le groupe était installé.

– Allô, ici Montréal, nous aimerions parler à Chantal*.

Paul*[2], le visage complètement défait a pris le téléphone.

– J’ai une triste nouvelle à t’annoncer. Notre grand garçon n’est plus de ce monde. Il s’est…

Il y eut un silence… Le sentiment d’une mort mystérieuse, cruelle, reliait les deux extrémités du fil comme un bloc de glace qui fige le sang.

– Penses-tu pouvoir rentrer pour les funérailles? Nous sommes prêts à t’attendre.

Il s’agissait d’une urgence pas comme les autres. Rentrer ou pas?

Chantal a eu le courage de lui dire avant de s’effondrer:

– Attends jusqu’à ce soir.

Dans l’après-midi, elle est allée prier avec les pèlerins qui l’ont entourée avec beaucoup d’attention et de délicatesse. Finalement, Chantal a décidé de rester. Elle a témoigné par la suite que grâce à sa décision, elle avait pu traverser cette épreuve avec sérénité. De sa profonde douleur est née une espérance qui l’a empêchée de sombrer dans le désespoir. Remuée aux tréfonds de ses entrailles, elle s’est réfugiée dans les bras de la Mère des Sept Douleurs qui lui a apporté la consolation et la paix. Sa douleur, qu’elle a partagée avec d’autres, va trouver l’apaisement, même si son cœur de mère n’a pas cessé de saigner pour celui [p. 27]qu’elle a mis au monde. Elle aura de nouveau à l’enfanter dans le pardon et la réconciliation avec elle-même, son garçon et sa famille, pour une autre vie. Car aucune mort devant l’Éternel n’est le synonyme du vide et de la disparition de l’être.

Au retour à Montréal, Pierre m’a dit qu’il ne souhaitait plus accompagner des groupes.

– Je ne suis pas fait pour ça, je manque de patience. Si jamais l’occasion se présente, c’est toi qui le feras.

De toute façon, aucun voyage n’était prévu jusqu’à ce que…

Chers pèlerins, je m’approche de plus en plus vers vous.

 

Pierre et Vicka, juin 1985.
Pierre et Vicka, juin 1985.

 

 

2. * prénoms fictifs. [↩]

 

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