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Normes procédurales pour le discernement des apparitions ou révélations présumées

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L’Osservatore Romano, 30 mai 2012, lien : Normes procédurales pour le discernement des apparitions ou révélations présumées.

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Position de l’Église
 

 

Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Normes procédurales pour le discernement
des apparitions ou révélations présumées

Préface

1. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi traite des matières qui regardent la promotion et la protection de la doctrine de la foi et de la morale; elle est par ailleurs compétente pour l’examen d’autres problèmes connexes à la discipline de la foi, comme les cas de pseudo-mysticisme, d’apparitions prétendues, de visions et de messages attribués à une origine surnaturelle. Conformément à cette dernière mission délicate confiée au Dicastère, il y a maintenant plus de trente ans furent préparées des Normae de modo procedendi in diudicandis praesumptis apparitionibus ac revelationibus. Le Document, discuté par les Pères de la Session plénière de la Congrégation, fut approuvé par le Serviteur de Dieu le Pape Paul VI, le 24 février 1978, et par conséquent promulgué par le Dicastère en date du 25 février 1978. À cette époque, les Normes furent portées à la connaissance des évêques, sans en fournir une publication officielle, tenant aussi compte du fait qu’elles concernaient en premier lieu les Pasteurs de l’Église.

2. Comme on le sait, au fil des ans le Document fut publié dans quelques ouvrages sur cette matière, et ce en plusieurs langues, mais sans l’autorisation préalable de ce Dicastère compétent. Il faut reconnaître aujourd’hui que les contenus principaux de ces dispositions importantes relèvent du domaine public. Cette Congrégation pour la Doctrine de la Foi a donc retenu opportun de publier les susdites Normes, en pourvoyant à une traduction dans les principales langues.

3. L’actualité de la problématique des expériences liées aux phénomènes surnaturels dans la vie et la mission de l’Église a aussi été abordée récemment par les évêques réunis pour la xiie Assembléeordinaire du Synode des évêques sur la Parole de Dieu, en octobre 2008. Leur préoccupation pastorale a été recueillie par le Saint-Père Benoît XVI, qui l’a insérée dans l’horizon global de l’économie du salut, dans un passage important de l’Exhortation post-synodale Verbum Domini. Il semble opportun de rappeler ici cet enseignement du Pontife, qu’il s’agit d’accueillir comme une invitation à accorder l’attention convenable à ces phénomènes surnaturels, dont traite aussi la présente publication 

« L’Église exprime qu’elle est consciente de se trouver, avec Jésus Christ, face à la Parole définitive de Dieu; il est “le Premier et le Dernier” (Ap 1, 17). Il a donné à la création et à l’histoire son sens définitif ; c’est pourquoi nous sommes appelés à vivre le temps, à habiter la création de Dieu selon le rythme eschatologique de la Parole ; “l’économie chrétienne, du fait qu’elle est l’Alliance nouvelle et définitive, ne passera jamais et aucune nouvelle révélation publique ne doit plus être attendue avant la glorieuse manifestation de notre Seigneur Jésus Christ (cf. 1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13)” (Dei Verbum, 4). En effet, comme l’ont rappelé les Pères durant le Synode, “la spécificité du Christianisme se manifeste dans l’événement Jésus-Christ, sommet de la Révélation, accomplissement des promesses de Dieu et médiateur de la rencontre entre l’homme et Dieu. Lui ‘qui nous a révélé Dieu’ (cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et définitive donnée à l’humanité” (Proposition 4). Saint Jean de la Croix a exprimé cette vérité de façon admirable : “Dès lors qu’il nous a donné son Fils, qui est sa Parole – unique et définitive –, il nous a tout dit à la fois et d’un seul coup en cette seule Parole et il n’a rien de plus à dire. […] Car ce qu’il disait par parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des visions ou révélations, non seulement ferait une folie, mais il ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ et en cherchant autre chose ou quelque nouveauté” (Montée au Mont Carmel, II, 22) ».

En tenant compte de ce qui précède, le Saint-Père Benoît XVI relève :

« Le Synode a recommandé d’“aider les fidèles à bien distinguer la Parole de Dieu des révélations privées” (Proposition 47), dont le rôle “n’est pas de (…) ‘compléter’ la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire” (Catéchisme de l’Église catholique, 67). La valeur des révélations privées est foncièrement diverse de l’unique révélation publique : celle-ci exige notre foi; en effet, en elle, au moyen de paroles humaines et par la médiation de la communauté vivante de l’Église, Dieu lui-même nous parle. Le critère pour établir la vérité d’une révélation privée est son orientation vers le Christ lui-même. Quand celle-ci nous éloigne de Lui, à ce moment-là elle ne vient certainement pas de l’Esprit Saint, qui nous conduit à l’Évangile et non hors de lui. La révélation privée est une aide pour la foi, et elle se montre crédible précisément parce qu’elle renvoie à l’unique révélation publique. C’est pourquoi l’approbation ecclésiastique d’une révélation privée indique essentiellement que le message s’y rapportant ne contient rien qui s’oppose à la foi et aux bonnes mœurs. Il est permis de le rendre public, et les fidèles sont autorisés à y adhérer de manière prudente. Une révélation privée peut introduire de nouvelles expressions, faire émerger de nouvelles formes de piété ou en approfondir d’anciennes. Elle peut avoir un certain caractère prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et elle peut être une aide valable pour comprendre et pour mieux vivre l’Évangile à l’heure actuelle. Elle ne doit donc pas être négligée. C’est une aide, qui nous est offerte, mais il n’est pas obligatoire de s’en servir. Dans tous les cas, il doit s’agir de quelque chose qui nourrit la foi, l’espérance et la charité, qui sont pour tous le chemin permanent du salut (Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Le message de Fatima, 26 juin 2000 : Ench. Vat. 19, nn. 974-1021) »[1]

4. Cette Congrégation espère vivement que la publication officielle des Normes procédurales pour le discernement des apparitions et révélations présumées pourra aider les Pasteurs de l’Église catholique dans la tâche exigeante de discernement des apparitions, des révélations, des messages et des locutions présumés ou, plus généralement, des phénomènes extraordinaires ou d’origine surnaturelle présumée. On souhaite en même temps que le texte puisse être également utile aux théologiens et aux experts dans ce domaine de l’expérience vivante de l’Église, qui revêt aujourd’hui une certaine importance et nécessite une réflexion toujours plus approfondie.

 
William Card. Levada
Préfet
De la Cité du Vatican, le 14 décembre 2011,
mémoire liturgique de saint Jean de la Croix.

Note préliminaire
Origine et caractère de ces normes

Au cours de la Session plénière annuelle, qui s’est tenue au mois de novembre 1974, les Pères de cette S. Congrégation ont examiné les problèmes relatifs aux apparitions présumées et aux révélations qui leur sont souvent liées, et ils sont parvenus aux conclusions suivantes :

1. Aujourd’hui plus qu’autrefois, la nouvelle de ces apparitions se répand rapidement parmi les fidèles par les moyens d’information (mass media). De plus, la facilité des déplacements favorise la fréquence des pèlerinages. Aussi l’Autorité ecclésiastique doit-elle sans tarder se prononcer en la matière.

2. D’autre part, la mentalité contemporaine, ainsi que les exigences de la science et de l’investigation critique, rendent plus difficile, sinon impossible, de parvenir avec la rapidité nécessaire aux jugements qui concluaient jadis les enquêtes en la matière (« constat de supernaturalitate », « non constat de supernaturalitate »). Il est donc plus délicat pour l’Ordinaire d’autoriser ou de prohiber un culte public ou d’autres formes de dévotion des fidèles.

Pour ces raisons, afin que la dévotion suscitée chez les fidèles par des faits de ce genre puisse se manifester en pleine communion avec l’Église et porter des fruits qui permettent à l’Église de discerner ensuite la véritable nature des faits, les Pères ont estimé qu’il fallait promouvoir la pratique suivante en la matière.

Pour parvenir à une plus grande certitude sur une apparition ou révélation présumée, il reviendra à l’Autorité ecclésiastique de :

a. juger d’abord du fait selon des critères positifs et négatifs (cf. infra, I) ;

b. ensuite, si cet examen aboutit à une conclusion favorable, permettre certaines manifestations publiques de culte ou de dévotion, tout en les observant avec la plus grande prudence (ce qui équivaut à la formule : « pro nunc nihil obstare ») ;

c. enfin, à la lumière du temps et de l’expérience (en particulier l’abondance des fruits spirituels procurés par la nouvelle dévotion), porter, le cas échéant, un jugement sur l’authenticité et le caractère surnaturel.

I. Les critères pour juger, au moins probablement,
du caractère des apparitions ou révélations présumées

A. Critères positifs :

a. Quant à l’existence du fait, certitude morale ou, du moins, grande probabilité, acquise au terme d’une enquête sérieuse.

b. Circonstances particulières relatives à l’existence et à la nature du fait :

1. qualités personnelles du ou des sujets (notamment équilibre psychique, honnêteté et rectitude de la vie morale, sincérité et docilité habituelles envers l’Autorité ecclésiastique, aptitude à revenir au régime normal d’une vie de foi, etc.) ;

2. Quant à la révélation, doctrine théologique et spirituelle vraie et exempte d’erreur ;

3. saine dévotion et fruits spirituels abondants et constants (par ex. esprit d’oraison, conversions, témoignages de charité, etc.).

B. Critères négatifs :

a. Erreur manifeste sur le fait.

b. Erreurs doctrinales attribuées à Dieu lui-même, à la Bienheureuse Vierge Marie ou à un saint dans leurs manifestations, compte tenu toutefois de la possibilité que le sujet ait ajouté – même inconsciemment – des éléments purement humains, voire quelque erreur d’ordre naturel, à une révélation vraiment surnaturelle (cf. saint Ignace, Exercices, n° 336).

c. Évidente recherche de lucre en relation étroite avec le fait lui-même.

d. Actes gravement immoraux accomplis au moment ou à l’occasion du fait lui-même, par le sujet et par ses accompagnateurs.

e. Maladies psychiques ou tendances psychopathiques du sujet, ayant exercé sur le fait présumé surnaturel une influence certaine, ou psychose, hystérie collective et choses du même genre.

Il faut noter que ces critères, positifs ou négatifs, sont indicatifs, et non limitatifs, et doivent être pris ensemble ou selon leur complémentarité.

II. Le comportement de l’autorité ecclésiastique compétente

1. Si, à l’occasion du fait présumé surnaturel, un culte ou une forme quelconque de dévotion naît de façon quasi spontanée de la part des fidèles, l’Autorité ecclésiastique compétente a le grave devoir de s’informer sans retard et d’être particulièrement vigilante.

2. Si des fidèles en font la demande légitime (c’est-à-dire en communion avec les pasteurs et sans être poussés par un esprit sectaire), l’Autorité ecclésiastique compétente peut intervenir, pour autoriser et promouvoir certaines formes de culte et de dévotion, à condition que rien ne les empêche au regard des critères précisés ci-dessus. On veillera néanmoins à ce que les fidèles ne tiennent pas cette façon d’agir pour une approbation par l’Église du caractère surnaturel du fait (cf. Note préliminaire, c).

3. En raison de sa charge doctrinale et pastorale, l’Autorité compétente peut intervenir de son propre chef et doit même le faire dans les circonstances graves, par exemple pour corriger ou prévenir des abus dans l’exercice du culte ou de la dévotion, condamner des doctrines erronées ou éviter les dangers d’un mysticisme faux ou inconvenant, etc.

4. Dans les cas douteux qui ne portent nullement atteinte au bien de l’Église, l’Autorité ecclésiastique compétente s’abstiendra de tout jugement et de toute action directe (car il peut arriver qu’avec le temps l’événement qualifié de surnaturel tombe dans l’oubli) ; qu’elle n’en reste pas moins vigilante et prête à intervenir avec célérité et prudence, si c’est nécessaire.

III. L’autorité compétente pour intervenir

1. La charge d’être vigilant ou d’intervenir appartient d’abord à l’Ordinaire du lieu.

2. La Conférence épiscopale régionale ou nationale peut intervenir :

a. si l’Ordinaire du lieu, après avoir accompli ce qui lui revient, recourt à elle pour juger plus sûrement du cas ;

b. si l’affaire revêt une dimension nationale ou régionale, mais toujours avec le consentement préalable de l’Ordinaire du lieu.

3. Le Siège apostolique peut intervenir, soit à la demande de l’Ordinaire lui-même, soit à la demande d’un groupe qualifié de fidèles, ou même directement, en raison du droit immédiat de juridiction universelle du Souverain Pontife (cf. infra, IV).

IV. L’intervention de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi

1. a) L’intervention de la S. Congrégation peut être demandée, soit par l’Ordinaire, après qu’il ait accompli ce qui lui revient, soit par un groupe qualifié de fidèles. En ce cas, on évitera que le recours à la S. Congrégation soit motivé par des raisons suspectes (comme par ex. la volonté de forcer l’Ordinaire à modifier ses décisions légitimes ou d’appuyer un groupe sectaire, etc.).

b) Il appartient à la S. Congrégation d’intervenir de son propre mouvement dans les cas graves, notamment lorsque l’affaire affecte une large portion de l’Église ; mais l’Ordinaire sera toujours consulté, ainsi que, le cas échéant, la Conférence épiscopale.

2. Il appartiendra à la S. Congrégation d’apprécier la manière d’agir de l’Ordinaire et de l’approuver ou, dans la mesure du possible et du convenable, de faire procéder, soit par elle-même, soit par une Commission spéciale, à un nouvel examen du fait, distinct de celui qu’aura réalisé l’Ordinaire.

Les présentes Normes, examinées au cours de la Session plénière de cette S. Congrégation, ont été approuvées par le Souverain Pontife Paul VI, heureusement régnant, le 24 février 1978.

À Rome, du Siège de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 25 février 1978.

 
Franjo Card. Šeper
Préfet
 
Jérôme Hamer, O.P.
Secrétaire
 

 

1. Exhortation Apostolique post-synodale Verbum Domini sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, 30 septembre 2010, n. 14 : AAS 102 (2010) 695-696. À ce sujet, voir aussi les passages du Catéchisme de l’Église catholique dédiés à ce thème (cf. nn. 66-67). [↩]

 

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