Medjugorje : Réponses aux objections — Chapitre I
Daria Klanac, Medjugorje : réponses aux objections, Le Sarment, Paris, 2012, 2e éd. (1re éd. 2001, ISBN 2-866-79322-6), chapitre i, pages 21 à 27.
Pages liées
Les relations entre les franciscains et le clergé diocésain au sujet des charges pastorales dans les paroisses d’Herzégovine furent établies par une décision du Saint-Siège en 1899, à la suggestion des franciscains eux-mêmes et de l’évêque Paskal Buconjić, ofm. Selon cet accord, les paroisses devaient être divisées à parts égales en deux groupes, chaque clergé recevant la moitié du troupeau des fidèles. Comme à cette époque il n’y avait pas de clergé diocésain, les paroisses qui lui revenaient de droit furent confiées, en 1923, aux franciscains ad nutum Sanctæ Sedis. L’évêque Čule, premier évêque séculier de Mostar, fut condamné en 1948 à onze ans et six mois de prison. Il purgea une peine de huit ans et demi avant d’être libéré. Après sa remise en liberté, le nombre des prêtres diocésains commença à augmenter. En [p. 22]1968, le Saint-Siège ordonna aux franciscains de laisser cinq paroisses au clergé diocésain. Ils n’en laissèrent que deux.
En 1975, après plusieurs années de discussions et de consultations, un décret du Saint-Siège fut publié au sujet de la répartition des paroisses en Herzégovine. Les franciscains dénoncèrent ce décret publiquement et collectivement, alors qu’ils administraient plus de 80% des fidèles dans le diocèse de Mostar. En 1975, à cause de leur désobéissance, la hiérarchie de la province franciscaine et le provincial Šilić perdirent leurs droits et, depuis lors, cette province dépend directement du général de l’Ordre qui la régit directement ad instar.[6]
Dès la fin du xiiie siècle, la hiérarchie régulière de l’Église catholique en Bosnie avait disparu. C’est l’époque où les franciscains arrivèrent en Bosnie en tant que missionnaires, devancés par les dominicains qui avaient essayé — sans succès — d’évangéliser la région. Leur première mission fut de combattre les hérésies des bogomiles dans les Balkans, un courant semblable à celui des patarins en Italie, et des albigeois ou cathares en France. Les franciscains n’avaient pas alors l’intention de s’implanter en Bosnie pour prendre en charge la pastorale régulière. Cependant, leur travail porta tant de fruits, [p. 23]comme en témoigne la Bulle Cum iam hora, promulguée en 1320 par Jean XXII, qu’en 1369, le pape Urbain V, accorda aux franciscains tous les privilèges du ministère avec droit de fonder des paroisses, construire des églises, nommer des administrateurs et des curés. La Congrégation pour la propagation de la foi a maintenu ce droit aux franciscains jusqu’en 1881.
Étant les seuls pasteurs en Bosnie, les franciscains firent appel au clergé séculier d’autres pays, mais sans succès. Lorsque la Bosnie tomba entre les mains des Turcs, les franciscains réussirent, en 1463, à obtenir du Sultan Mehmed II des garanties concernant leur liberté d’action. C’est au début du xviie siècle que commencèrent les persécutions des catholiques et des franciscains en Bosnie-Herzégovine. Les religieux entrèrent alors dans la clandestinité pour travailler auprès du peuple, ce qui leur valut le surnom d’ « oncle », expression affectueuse signifiant la proximité et servant en même temps à dissimuler leur identité. Les persécutions durèrent jusqu’en 1878, date à laquelle la Bosnie fut occupée par l’Autriche-Hongrie. Les nouvelles autorités exigèrent l’établissement d’une hiérarchie ecclésiastique. Cependant que le travail des franciscains auprès du peuple ne servaient pas les intérêts politiques des nouveaux dirigeants.
En 1879, le Saint-Siège examina pour la première fois la question de l’introduction d’une hiérarchie en Bosnie-Herzégovine. Il ne désirait pas de changement mais, au contraire, rendait hommage, avec beaucoup d’éloges, au travail des franciscains dans cette région (Act nota de Archivio, § 8) : « Dans plusieurs rapports qui ont été [p. 24]envoyés à cette sainte Congrégation on voit qu’ils (les franciscains) ont rempli là une mission apostolique au milieu de grands dangers, de grandes souffrances et de pénibles efforts, où plusieurs d’entre eux ont trouvé une mort violente et barbare. Il était donc compréhensible que la Cour suprême de l’Église n’ait pas relégué à l’arrière-plan ce clergé auquel elle avait déjà cédé autant de privilèges. »[7]
Le gouvernement austro-hongrois ne réduisit pas ses pressions. Il négocia directement avec Léon XIII qui considérait que les franciscains avait mérité la faveur de l’Église catholique et qu’on leur devait l’estime. C’est dans cet esprit que le pape écrivit la lettre Ex hoc augusta en date de 1881 à propos de la nouvelle organisation de l’Église en Bosnie-Herzégovine. Il y invitait le clergé séculier à se laisser guider par l’esprit d’amour et d’unité envers les religieux à qui l’Église était redevable en raison du souci qu’ils avaient eu pour le salut des âmes dans ces régions.
Dans la province franciscaine d’Herzégovine, la question du partage des paroisses fut résolue par un accord entre les franciscains et l’évêque des lieux, entériné par le Saint-Siège en 1899. Étant donné que le clergé séculier était restreint, les franciscains durent desservir des paroisses qui, selon l’accord, ne leur revenaient pas. En 1923, en vertu d’un nouvel accord, l’évêque lui-même laissa aux franciscains la charge pastorale des paroisses que le clergé séculier ne pouvait assumer.
[p. 25]Nommé en 1942, l’évêque Čule de Mostar fut le premier évêque non franciscain. En 1958, il souleva de nouveau la question du partage des paroisses et réussit à faire révoquer l’accord conclu en 1923. Un gouvernement communiste dirigeait alors le pays, l’Église était persécutée. Les fidèles savaient depuis des siècles pouvoir compter sur les franciscains pour sauvegarder la foi. La révocation de l’accord dans de telles circonstances fut perçue comme une difficulté supplémentaire contre laquelle ils réagirent. Les franciscains de leur côté, au service du peuple depuis des siècles, ne voulurent pas l’abandonner et acceptèrent mal cette séparation. Dans certaines paroisses dont les franciscains se retiraient par obéissance, les fidèles résistèrent à la venue du clergé séculier. C’est pourquoi le peuple fut accusé d’insoumission et les franciscains de désobéissance. Les fidèles continuèrent de solliciter l’assistance pastorale des franciscains et de fréquenter les paroisses franciscaines. Ils furent condamnés pour « sacrilège ». De leur côté, les franciscains qui répondaient aux demandes des fidèles perdaient leur juridiction et leur mission canonique. L’Église en Herzégovine se trouvait donc dans une situation pénible. Plus l’évêque insistait, plus l’opposition s’élevait. Le peuple de Dieu qui, pendant des siècles avait cheminé avec les franciscains, comme on le constate dans ce bref aperçu historique, ne comprenait pas et n’acceptait pas de telles représailles qui dépassaient parfois même les mesures disciplinaires du Droit canon que les franciscains connaissaient bien et consultaient à chaque occasion. Tout en s’y rapportant et malgré les mises en [p. 26]garde et les menaces, les franciscains suivirent la voix de leur propre conscience dans certaines situations d’urgence.
À ma demande, le P. Léonard Oreč, ancien curé de Medjugorje et maintenant responsable du développement financier de l’Ordre à la Curie franciscaine de Rome, m’a fait parvenir une lettre exposant la situation à Medjugorje en rapport avec ce qu’on appelle « le cas d’Herzégovine », c’est-à-dire le conflit entre les franciscains et l’évêque sur la répartition des paroisses :
Tous les prêtres franciscains qui œuvrent présentement à Medjugorje ont ce qu’on appelle « la juridiction diocésaine », c’est-à-dire la permission de confesser dans le sens du Droit canon, n° 967 § 2 et 969 § 1, que leur a accordée l’évêque du diocèse. En vertu de cette procuration, ils peuvent confesser partout dans le monde sauf si l’Ordinaire du lieu le leur interdit. À deux franciscains arrivés à Medjugorje après 1994, par la décision de leur supérieur religieux pour les besoins de la paroisse, l’évêque de Mostar n’a pas accordé la mission canonique, c’est-à-dire ne les a pas confirmés dans la fonction de « chapelains ». Cependant, ils peuvent confesser, prêcher et exercer d’autres ministères sacerdotaux pour lesquels le titre de chapelain n’est pas requis. Depuis 1994, l’évêque Ratko Perić n’accorde juridiction ou mission canonique à aucun franciscain qui change de lieu de résidence à l’intérieur de son diocèse jusqu’à ce que le décret Romanis pontificibus sur la répartition des paroisses soit appliqué. Cette mesure, punitive selon l’avis de plusieurs juristes, n’est pas justifiée. Aux jeunes franciscains arrivés dans le diocèse après 1994, l’évêque n’accorde ni la juridiction ni la mission canonique. [p. 27]N’étant coupables ni responsables de la situation, ils ne peuvent pourtant pas, de par la loi, servir comme prêtres dans leur propre région.[8]
C’est dans cette situation qui perdure depuis des années, que la province franciscaine d’Herzégovine a été surprise par les apparitions de Gospa à Medjugorje, en 1981. Cependant, depuis août 2000, une nouvelle équipe pastorale œuvre à Medjugorje. Elle est dirigée par un jeune curé, le P. Ivan Sesar, docteur en droit canon. Cette équipe, qui a l’âge des voyants, est bien formée et dynamique; tout à fait libre des conflits antérieurs, elle redonne à la paroisse un élan nouveau.
À ce nouveau contexte qui a facilité considérablement les relations avec l’Ordinaire, il faut ajouter cette autre bonne nouvelle. En effet, depuis 1973, les franciscains relevaient directement de la Curie générale de l’Ordre. Or récemment, le P. Général, suite à une consultation auprès de chacun des franciscains de la province, a reçu de la très grande majorité un engagement ferme à se soumettre à l’obéissance des autorités ecclésiastiques. Grâce à ce geste, la province a pu élire son provincial, le P. Slavko Soldo, originaire de Medjugorje. On ne peut donc plus maintenant taxer ces franciscains de « désobéissants ».
6. Mgr Pavao Žanić, La Vérité sur Medjugorje, Mostar, 1990, § 23. [↩]
7. Jerko Mihaljević, Hercegovački slučaj, Humac, 1976. [↩]
8. Lettre du P. Léonard Oreč, Rome, 11 septembre 1998. [↩]