Entretien

Entretien du cardinal Schönborn pour le journal catholique allemand Die Tagespost

Source

« Le Cardinal Schönborn: Je veux absolument revenir à Medjugorje ! », Stella Maris, Mensuel d’informations religieuses, Éditions du Parvis, Hauteville, Nº 467, mars 2010, pages 11 à 13.

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Position de l’Église
Cardinal Christoph Schönborn
 

 

Entretien du Cardinal Schönborn pour le journal catholique allemand Die Tagespost

 

Die Tagespost (DT) — Eminence, pourquoi avez-vous passé le nouvel an à Medjugorje ?

Cardinal Christoph Schönborn — C’est assez inhabituel qu’un cardinal se rende en pèlerinage à Medjugorje. Je n’en étais pas conscient, mais je l’ai constaté après coup. J’ai entendu dire que plusieurs cardinaux et évêques s’y étaient rendus, mais de façon tout à fait privée en général. Ma démarche avait un but très personnel : effectuer un pèlerinage à un endroit dont j’ai constaté en 28 ans les fruits très nombreux et impressionnants.

Pèlerinage du cardinal Schönborn à Medjugorje (1/3).
L’Église Saint-Jacques de Medjugorje.

C’était donc très important pour moi de me rendre personnellement en cette localité qui entre temps est devenue l’un des plus grands lieux de pèlerinage du monde. Le plus grand groupe de prière de Vienne se réunit chez les Dominicains depuis le début des années 80. Nous Dominicains, nous avons remarqué que l’église est toujours pleine, que la soirée de prière a lieu aussi tout l’été, et qu’y viennent de nombreux jeunes; la persévérance de leur prière est impressionnante. Devenu évêque, j’ai constaté combien nos plus jeunes prêtres sont influencés par Medjugorje, le grand rôle qu’a joué Medjugorje sur le chemin personnel de leur sacerdoce. Les conversions sont un troisième fait surprenant. A part Taizé, aucun rassemblement de jeunes ne réunit autant de jeunesse que le Festival des Jeunes de Medjugorje. S’ajoute à cela la signification mondiale du phénomène.

DT — Ce qui frappe aussi à Medjugorje, c’est la culture de la confession.

Card. Schönborn — J’ai moi-même confessé pendant deux heures et demie. Beaucoup de personnes qui ne s’étaient pas confessées depuis vingt ou trente ans ont redécouvert la confession. Cette redécouverte du sacrement de réconciliation traverse toutes les couches sociales. Quand on fixe son attention sur tout cela se pose la question : A quoi ressemble l’arbre qui porte de tels fruits ? Il y a une grammaire théologique des apparitions mariales. La mère de Dieu possède apparemment un « projet de pastorale ».

Les apparitions mariales sont un phénomène universel. Il n’y a pour ainsi dire pas de pays dans lesquels n’existe pas ce genre de manifestation, qui ne leur soit pas destinée et qui ne leur donne aussi son empreinte. Sans anticiper un jugement définitif de l’Église, je constate que les phénomènes attestés à Medjugorje depuis 1981 présentent une forte ressemblance avec d’autres apparitions mariales. La question de savoir pourquoi ces faits surprenants durent si longtemps est un autre problème. Dans cette région extrêmement pauvre, indigente, mais empreinte d’une piété catholique authentique et profonde, des enfants sont entrés en contact avec ces apparitions et en ont témoigné. C’est un trait fondamental que l’on retrouve au travers de nombreuses apparitions mariales. A Lourdes aussi, il s’agissait d’une fillette de 14 ans, dans un endroit perdu. Marie n’apparait presque nulle part à des évêques, mais ses messages s’adressent presque toujours à des prêtres et à des évêques.

DT — Que voulez-vous dire en parlant d’une « grammaire » des apparitions mariales ?

Card. Schönborn — Les apparitions mariales ont un langage propre : elles s’adressent aux petits, à des personnes insignifiantes aux yeux du monde. Ce sont toujours des messages simples, jamais compliqués, mais ils touchent le cœur de l’Évangile et du message chrétien. On a là un critère de discernement. Tous les messages extraordinaires sont à priori suspects. C’est impressionnant de constater que dès le deuxième jour des apparitions le mot paix ait pris une importance décisive, que Marie à Medjugorje soit vénérée sous le vocable de « Reine de la Paix ». Dix ans plus tard éclate la première guerre des Balkans. Le message principal est la prière, et pourquoi la Mère de Dieu ne nous ferait-elle pas toujours souvenir de ce message ? Le fait que Marie s’adresse à nous en nous disant « Mes enfants » fait aussi partie de cette « grammaire » de la Mère de Dieu, sans distinction d’âge, ni d’importance.
 

Pèlerinage du cardinal Schönborn à Medjugorje (2/3).
Le Cardinal Schönborn sur la colline des apparitions.

 
DT — On n’a pas encore de jugement définitif de l’Église.

Card. Schönborn — La position officielle de la Conférence Épiscopale de Yougoslavie, de 1991, qui a été confirmée à deux reprises au moins par la Congrégation pour la doctrine de la Foi est pour moi une ligne directrice idéale; et il est bon de s’y tenir. Le magistère de l’Église ne s’exprime pas de façon définitive sur ces phénomènes : « Il n’est pas établi qu’il s’agisse de phénomènes surnaturels. » La formulation choisie laisse la question en suspens. Ce peut être surnaturel ou pas. L’Église ici avance sciemment avec prudence pour ne pas contrarier les fruits, mais aussi pour repousser de faux chemins toujours possibles.

DT — L’Église en arrivera-t-elle à prononcer un jugement définitif dès que les phénomènes seront terminés ?

Card. Schönborn — Il y a beaucoup de lieux d’apparitions mariales où il n’y a pas eu pendant très longtemps de jugement de l’Église, mais où pourtant avaient lieu des pèlerinages. C’est pourquoi sont si importantes la deuxième et la troisième phrase de la Déclaration de 1991, celles qui déclarent impossibles les pèlerinages officiels. Mais il a été souligné aussi que revenait aux nombreux pèlerins un accompagnement spirituel. Le service de la confession en fait partie, car Medjugorje est entre temps devenu le plus grand confessionnal du monde. Je vois là aussi en tant qu’évêque diocésain ma responsabilité concrète vis-à-vis des gens qui, à Medjugorje, recherchent et reçoivent des impulsions spirituelles. Medjugorje a développé une dynamique propre, qui sans aucun doute a reçu son impulsion première des enfants qui ont communiqué les messages. Mais, depuis, ce phénomène joue un rôle subalterne. Que font les milliers de pèlerins qui aujourd’hui viennent à Medjugorje ? Ils prient ! Ils prient tous les jours l’ensemble des psaumes, adorent la Présence Réelle. Il n’y a aucune sorte d’attractions touristiques, mais les pèlerins passent des heures à prier, escaladent le mont Križevac en priant le Chemin de Croix, récitent le Rosaire tout en se rendant à la montagne des apparitions. Les gens ont une envie incroyable de revenir — comme à Lourdes. Je ne m’explique cela que par le fait que la proximité de la Mère de Dieu leur fait du bien. C’est quelque chose de consolant, quelque chose qui aide, qui fortifie. Je l’avoue, je veux absolument retourner à Medjugorje ! Je connais beaucoup de gens pour qui c’est pareil. La Mère de Dieu est certainement celle qui conduit le mieux à son Fils.

DT — Medjugorje est certainement un lieu privilégié indépendamment de la reconnaissance des apparitions ?

Pèlerinage du cardinal Schönborn à Medjugorje (3/3).

Card. Schönborn — Il faut être aveugle pour douter que les grâces coulent à flots à Medjugorje. C’est pour moi une évidence que l’Église ne peut pas ne pas voir. Il est trop évident qu’il se passe ici quelque chose de privilégié. En ce qui concerne l’aspect charismatique, les paroles, je laisse à penser que Sainte Sœur Faustine a eu des apparitions de Jésus pendant des années et presque journellement. Cela a été examiné de très près par Rome, de façon très critique d’abord, mais les examens ultérieurs ont montré l’invulnérabilité[1] des apparitions. L’Église a toujours été très réservée en ce qui concerne les locutions intérieures et les visions, et c’est bien ainsi. Il importe seulement que les fruits ne soient pas empêchés. Le grand nombre d’œuvres sociales qui sont nées de l’impulsion de Medjugorje m’impressionne particulièrement. La Communauté du Cénacle, par exemple, qui a un succès incroyable auprès des drogués, qui trouvent la guérison à travers une vie chrétienne et une foi forte. Medjugorje est devenu un tremplin pour le Cénacle car c’est par son truchement qu’est parti le message d’espérance dans le monde entier. Le Village des Mamans que le Père Slavko a fondé d’abord pour les femmes violées et les victimes de guerres cruelles, est un second exemple.

DT — Vous avez nommé les bons fruits (les conversions, les vocations, les confessions) et le contenu qui est conforme à l’Évangile et qui ne contredit pas la doctrine. Qu’est-ce que l’Église peut encore examiner ?

Card. Schönborn — La crédibilité personnelle des témoins est sûrement aussi un élément important. Le fait que les voyants soient tous mariés et aient des enfants peut certainement être aussi un signe pour notre temps. Je pense qu’on devrait examiner Medjugorje à la lumière de Vatican II : le célèbre « sensus fidelium » qui ne recherche pas tant l’extraordinaire que la consolidation de la vie de foi quotidienne. Il est sans cesse question, dans le message de Medjugorje, d’une vie quotidienne et chrétienne tout à fait normale. Qu’est-ce que la Vierge nous apprend ? La foi dans la vie quotidienne ! Medjugorje est pour moi une école pour une vie normale chrétienne.

DT — Vous distinguez l’impulsion du début des autres phénomènes. Pourquoi ?

Card. Schönborn — L’impulsion du début a mis le phénomène en mouvement. Pour les pèlerins qui ont gardé des liens avec Medjugorje, le fait que les messages continuent est sûrement important. Il n’y aurait pas eu de Medjugorje sans l’impulsion du début. Je ne veux pas spéculer sur la reconnaissance. Pour moi, en tant qu’évêque, il est important qu’il n’y ait rien dans les messages qui contredise la foi. Ce vocable de « Reine de la Paix » sous lequel se manifeste Marie en ce temps-ci porte bien sa marque. Le fait aussi qu’Elle souligne la conversion. Car la paix entre nous n’existe que là où il y a la paix avec Dieu.

DT — Beaucoup de gens ont changé de vie à Medjugorje, ou par son truchement. Y a-t-il quelque chose que vous voudriez voir changer après cette visite ?

Card. Schönborn — Si c’était le cas, je ne le dirais pas. Mais toutes ces années d’intimité avec Lourdes m’ont convaincu d’une chose : nous devons nous laisser conduire par la Vierge de façon beaucoup plus concrète. Comment Marie atteint-elle le cœur des gens ? Nous vivons dans un pays où le nombre de ceux qui ont quitté l’Église en constitue la deuxième « communauté religieuse ». Beaucoup de ces gens pourtant ont la nostalgie de Dieu. Nous voyons ce qui se passe avec les personnes qui vont à Lourdes ou à Medjugorje. Les blessures y sont guéries et les cœurs s’ouvrent. Comment Marie s’y prend-elle en notre époque ? Il est devenu de plus en plus clair pour moi que la pastorale de Marie doit nous inspirer. Les messages ne contiennent que peu d’appels à la morale. Mais quand les cœurs se laissent toucher par Marie et se tournent vers Dieu, les choses s’ordonnent d’elles-mêmes. Le « oui » à la vie provient d’une évidence intérieure. Un cœur converti à Dieu trouve le bon chemin, dans le domaine de la morale aussi.

DT — Vous étiez-vous mis d’accord avec le Saint-Siège pour ce voyage. Lui ferez-vous part de vos impressions ?

Card. Schönborn — J’ai fait ce pèlerinage pour des motifs très personnels. Je ne cache pas à mes confrères ma position sur Medjugorje, qui s’est encore approfondie. J’en ai parlé avec de nombreux évêques et le ferai encore. Cela fait aussi partie de la façon dont se forment l’opinion et le jugement de l’Église. Pour beaucoup de pèlerins qui sont venus à Medjugorje pour la Saint Sylvestre, il était consolant qu’un cardinal y soit aussi.

Die Tagespost,
journal catholique pour les questions de politique,
de société et de civilisation,
édité à Würzburg Allemagne
www.die-tagespost.de

 

1. On ne pouvait rien leur objecter. Hieb-und Festigkeit dans le texte. NdTr. [↩]

 

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